Pourquoi les hommes s’occupent peu de leur santé

Consultations tardives, tendance à minimiser les risques, la prévention n’est pas de l’ordre du réflexe parmi la gent masculine. © iStock

Virilité et maladie ne font pas bon ménage à en croire l’attitude que les messieurs adoptent lorsqu’il s’agit de soins et de prévention. Historiquement, les femmes sont mieux encadrées médicalement. Explications et témoignages.

Dans plusieurs domaines, l’égalité des sexes n’est pas encore atteinte et c’est également le cas en matière de soins. Cette fois, ce sont les messieurs qui sont défavorisés. Ils tardent à consulter, ils peinent à adopter des gestes préventifs et leurs connaissances en santé et soins sont plus lacunaires que celle des femmes. Un article paru dans le Swiss medical weekly en mai dernier a pu démontrer que ces dernières ont une meilleure adhésion globale aux programmes de dépistage ainsi que de prévention et elles ont davantage recours aux consultations médicales. Depuis 2003 déjà, le mouvement Movember tente d’ailleurs de sensibiliser les hommes aux maladies qui les touchent, dont le cancer de la prostate. Cet événement annuel invite les messieurs à ne pas se raser pendant tout le mois de novembre. Une façon d’afficher clairement qu’ils se soucient de leur santé. Pourtant, encore aujourd’hui, le rôle social de l’homme lui impose d’être fort physiquement et moralement. «Ils ont tendance à moins demander d’aide lorsqu’ils ont un problème de santé et, de l’autre, ils sont souvent plus exposés à des risques liés à leurs profession ou à leur style de vie, explique la Dre Elisabetta Rapiti, épidémiologiste et membre du groupe Médecine genre & équité à l’Université de Genève (UNIGE).

A titre d’exemple, les mélanomes (cancer de la peau) sont fréquents aussi bien chez les femmes que chez les hommes, mais ils sont plus mortels chez ces derniers. Ils consultent tard, lorsque la tumeur est à un stade avancé. Sans oublier qu’ils adoptent également plus rarement des gestes préventifs, comme ne pas s’exposer au soleil ou mettre de la crème. En matière de santé, il y a des différences biologiques évidentes, mais aussi sociales et culturelles.» Un avis partagé par la Dre Francesca Arena, historienne à l’Institut éthique, histoire, humanités à la Faculté de médecine de l’UNIGE: «L’identité féminine a été construite par la médecine autour de la reproduction. Les femmes ont donc été amenées à prendre soin de leur corps très tôt. A l’inverse, l’identité masculine a été construite sur la performance et sur le fait de ne pas pouvoir exprimer les faiblesses. L’injonction sociale est forte aussi pour les maladies mentales. Pas étonnant que la première cause de décès des hommes, en Suisse, en 2019, âgés entre 10 et 49 ans soit le suicide! Pour contrer cela, les campagnes de prévention destinées aux hommes, comme celle du mouvement Movember, sont essentielles. Il faudrait également sensibiliser les médecins aux différences liées au genre.» 

Vulnérabilité «honteuse»

Alors que les femmes se soumettent à un contrôle gynécologique annuel, les hommes ne vont pas chez l’andrologue. L’andrologie n’est d’ailleurs pas une spécialisation médicale.  «Historiquement, la médecine s’est intéressée aux corps des femmes en les définissant comme étant destinés à la reproduction, explique Camille Bajeux, docteure à l’Institut des études genres à l’UNIGE. Puis, avec l’avènement de la contraception médicale, il est devenu normal pour elles d’entrer dans un parcours de soin au moment de leurs premiers rapports sexuels. L’équivalent masculin n’existe pas. L’urologue est capable de soigner certaines maladies du système urinaire et génital, mais les hommes ne vont pas forcément poser des questions plus intimes. Ils ont souvent honte de montrer leur vulnérabilité et les médecins ne savent pas forcément comment répondre sans blesser leurs patients.»

Un constat partagé par le Dr Christian Rollini. Le psychiatre et sexologue a d’ailleurs ouvert une clinique dédiée aux hommes, la Men’s health clinic à Lausanne. «Le but de cette clinique est de proposer une prise en charge globale du patient. Un homme qui consulte un urologue pour des dysfonctionnement érectiles et qui repart uniquement avec une ordonnance de Viagra n’aura pas résolu son problème. Malheureusement, peu d’urologues sont formés en sexologie et il faut impérativement prendre en considération tant les aspects somatiques que le contexte social et professionnel du patient pour trouver un traitement qui soit efficace et bien accepté.» La Men’s health clinic fait donc appel à des urologues-andrologues spécialisés dans les questions sexologiques et hormonales, ainsi qu’à une nutritionniste et à des psychiatres sexologues. Encore faut-il que ces messieurs osent prendre un rendez-vous. «Les hommes consultent tardivement et ils n’osent pas toujours parler clairement de leurs symptômes, surtout si cela les fait paraître émotifs ou sensibles, analyse Francesca Arena. Depuis des siècles, la masculinité s’est construite autour du pénis et la sexualité autour des capacités de cet organe. Heureusement, les nouvelles générations sont plus attentives à leur santé et développent d’autres formes de masculinité qui ne sont plus uniquement axées sur la virilité.»

Les hommes ont d’ailleurs tout intérêt à consulter, car leur espérance de vie est moins bonne que celle de leurs compagnes: ils vivent en moyenne quatre ans de moins que les femmes.

Yseult Théraulaz

«Ça m’ennuie d’aller chez le médecin»

Xavier et François avouent leurs craintes de consulter et de recevoir une mauvaise nouvelle.

François*, 53 ans souffre de la maladie de Crohn. Cette maladie auto-immune attaque son côlon et provoque de fortes diarrhées avec perte de poids et risque de dénutrition. Elle évolue par poussées. «La dernière crise remonte à 2017, je suis allé consulter et j’ai dû prendre des médicaments qui ne m’ont pas convenu. Depuis, je n’ai plus eu de poussées et j’ai cessé tout traitement. Je sais que je ne devrai pas car la maladie progresse malgré tout, mais ça m’ennuie d’aller chez le médecin. Il faut prendre rendez-vous, se rendre sur place, faire des examens, se faire rembourser… Toute cette paperasse m’agace et je ne ressens pas d’urgence à faire un contrôle. J’admets également que je repousse une consultation chez mon gastroentérologue, car je crains qu’il ne me propose de prendre un traitement lourd. Dans mon entourage, les diagnostics de cancer commencent à tomber, mais je me sens bien, alors je ne consulte pas.»

Xavier* adopte la même attitude. Le quinquagénaire a eu une grosse frayeur, il y a quelques années lors d’une prise de sang de contrôle. «Mon taux de PSA (protéine sécrétée par la prostate) était anormal. Il a fallu que je consulte un urologue. Il m’a fait une biopsie de la prostate. C’est un examen qui est loin d’être agréable. Finalement, je n’avais rien. Cette expérience m’a clairement refroidi. Je me suis retrouvé dans le cercle des candidats au cancer et je me suis vu six pieds sous terre. Je ne veux pas revivre cela et je n’ai plus envie de parler de ma prostate. Si je suis malade, je demande conseil à mon pharmacien et je me soigne ainsi.»

* Noms connus de la rédaction

Y. T.

 

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