Polymédication ou surconsommation?

On parle de polymédication lorsque la consommation quotidienne atteint six médicaments et plus. © Shutterstock

Prend-on trop de médicaments et, si oui, quels sont les risques pour notre santé? Le point avec le Pr Christophe Büla, du CHUV, à Lausanne.

En Suisse, les personnes de 80 ans et plus souffrent en moyenne de trois maladies chroniques avec, en tête de liste, l’insuffisance cardiaque. A lui seul, le traitement de cette maladie implique l’absorption quotidienne de 3 à 4 médicaments. Si l’on ajoute à ceux-ci 2, voire 3 pilules, pour soigner les autres maladies et quelques cachets pour surmonter un mal passager, la question se pose: ne consomme-t-on pas trop de médicaments? «C’est un problème commun à l’ensemble du monde occidental, en particulier avec l’âge et, par conséquent, l’apparition de maladies», constate le Pr Christophe Büla, médecin et directeur du Service de gériatrie et réadaptation gériatrique du CHUV.

De la banalisation observée dans les pays industrialisés à la surconsommation, il n’y a qu’un pas. Aux Etats-Unis, la vente sans prescription de médicaments favorise ce phénomène. En France, l’Hôpital Georges-Pompidou, à Paris, tire pour sa part la sonnette d’alarme. Selon l’étude réalisée par ses soins auprès de 600 000 personnes (dont 32 300 de plus de 80 ans), les 70-80 ans avalent quotidiennement 8 médicaments différents, un chiffre qui progresse à près de 10 médicaments pour les 80-100 ans. Or, cette quantité est considérée comme dangereuse par le corps médical.

Et en Suisse? «On a des données concernant la polymédication – c’est-à-dire la consommation quotidienne de six médicaments et plus –, mais uniquement en milieu hospitalier, ce qui ne reflète pas la réalité. On sait toutefois qu’en moyenne, les retraités à domicile consomment 3,8 médicaments par jour contre 6 pour les résidents en long séjour.»

 

Des maladies traitées dans leur ensemble

 

Pour illustrer la difficulté de traiter simultanément plusieurs maladies, sans tomber dans la surconsommation médicamenteuse, le professeur cite une étude réalisée aux Etats-Unis, avec pour sujet une patiente de 79 ans souffrant à la fois de problèmes respiratoires chroniques, de diabète, d’ostéoporose, d’hypertension et d’arthrose. Traitée par différents spécialistes qui ne tiendraient pas compte des autres maux, cette femme se verrait ainsi condamnée à avaler quotidiennement 12 médicaments en 19 doses et cinq prises quotidiennes! Sans parler de la prise hebdomadaire d’un médicament contre l’ostéoporose, assortie d’une recommandation à faire de l’exercice, alors que le sport est contre-indiqué en cas d’arthrose. «On le constate: c’est une médecine de singe, commente le Pr Büla. Le rôle du médecin est de déterminer quels symptômes sont les plus handicapants pour le patient. Pour dix personnes ayant la même constellation de maladies, il n’y aura donc jamais la même réponse médicamenteuse.»

Reste que plus on consomme de médicaments différents, plus on augmente les risques d'accident médicamenteux. Chaque médicament contient une molécule et même pris seul, il génère des effets secondaires. Au-delà de trois à quatre pilules, on ne connaît plus le métabolisme des molécules, c'est-à-dire leur façon de réagir. D’autres facteurs peuvent aussi provoquer un déséquilibre, comme une infection, une assimilation moins efficace d’un médicament liée à l’âge ou encore une diminution du nombre de médicaments. «Les séjours à l’hôpital sont des situations à haut risque, cite à ce propos le professeur. La médication peut changer entre l’arrivée et la sortie de l’hôpital: un générique peut alors être prescrit à la place d’un médicament original, sans que le patient en ait connaissance, d’où le risque de prendre des médicaments à double.» Et de voir grimper sa facture.

 

Que faire en cas de doute?

 

Plus que dans la surconsommation, le risque réside dans un mauvais diagnostic. Exemple? Un médicament contre les nausées peut s’avérer efficace, mais mal supporté, il peut aussi entraîner des symptômes neurologiques, similaires à ceux de la maladie de Parkinson. «Si le médecin ne fait pas le lien entre le médicament et ces symptômes, le risque est qu’il prescrive au patient un deuxième médicament, contre le parkinson qui, lui, augmente la tension...» Raison pour laquelle, il est de plus en plus souvent demandé au patient de présenter une liste complète des médicaments pris.

En Suisse, entre 10 et 15% de la population, tous âges confondus, peuvent ressentir des effets secondaires. Ceux-ci sont le plus souvent bénins, mais ils peuvent aussi plonger la personne dans un état confusionnel aigu pouvant conduire au coma, en particulier si elle souffre de problèmes cognitifs. Ils peuvent aussi s’avérer fatals lorsqu’ils provoquent un accident hémorragique important. «Si l’on souffre d’effets secondaires importants, on peut supprimer la prise du médicament suspect, pour autant qu’il ne soit pas vital, conclut Christophe Büla. Et surtout, il faut consulter le plus rapidement possible son médecin traitant ou son pharmacien.»

Sandrine Fattebert Karrab

 

 

Bientôt un entretien en pharmacie spécifique pour les seniors

Sur Vaud, le groupe de travail Vieillissement et Santé planche sur une meilleure transmission des données entre les différents acteurs du système de santé: médecins, personnel des hôpitaux, des centres médico-sociaux et pharmaciens. L’entretien de polymédication, déjà pratiqué par les pharmaciens et remboursé par l’assurance de base, est déjà proposé par un certain nombre de pharmacies. Pour en bénéficier, il faut suivre un traitement de quatre médicaments au minimum, pendant trois mois en continu. La synergie avec la politique Vieillissement et Santé permettrait d’adapter cette prestation aux besoins spécifiques des personnes âgées dès l’an prochain, par exemple, en offrant une formation aux pharmaciens sur les problématiques de la gériatrie. «L’objectif de cet entretien consistera à s’assurer du bon traitement médicamenteux du patient et d’en faire un rapport au médecin traitant, précise Frédéric Emery, membre du groupe de travail et pharmacien à Yverdon (VD). Il est courant qu’un patient renonce à l’un de ses médicaments – par exemple, en raison de ses effets secondaires – sans avoir l’envie ou le courage de le dire à son médecin. Ce sera donc notre rôle de l’annoncer à sa place.» © Wavebreakmedia

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