Fatigués en permanence?

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Les personnes souffrant d’un épuisement physique persistant sont souvent confrontées à l’incompréhension de leur entourage ou à celle du monde médical. Il est vrai que la science n’a pas encore percé le mystère de ce mal étrange. Explications d’une spécialiste.
Depuis longtemps, les médecins s’interrogent sur l’origine du syndrome de fatigue chronique (SFC), qu’aucun test biologique ne permet de diagnostiquer. Il y a quelques années, les recherches s’orientaient vers des problèmes de stress oxydatif liés à un dysfonctionnement des mitochondries, ces éléments de la cellule impliqués notamment dans la production de l’énergie. Mais, récemment, l’épuisement physique constaté chez des patients atteints du covid long tend à orienter les recherches dans une autre direction.
Précisions de la Dre Ariane Gonthier, auteure d’un article sur la fatigue chronique publiée dans la Revue médicale suisse: «Aujourd’hui, les hypothèses vont plutôt dans le sens d’un dysfonctionnement immuno-inflammatoire. Le syndrome de fatigue chronique s’apparenterait alors à une maladie auto-immune, un peu comme la sclérose en plaque, par exemple. Les recherches se sont intensifiées, surtout depuis l’apparition du covid long qui apporte de l’eau au moulin des scientifiques supposant, depuis longtemps, que le SFC est un syndrome post-infectieux: après avoir été mis à mal lors de l’infection de l’organisme par un microbe, le système immunitaire continuerait à dysfonctionner, même après la guérison de l’infection. C’est comme si la phase de rétablissement après une infection ne se mettait pas en place correctement.»
Ce n’est pas dans la tête
Concrètement, une personne sur deux cents est confrontée à cette maladie particulièrement invalidante. Parfois, les patients souffrant de SFC multiplient les consultations médicales en espérant trouver une solution à leurs difficultés. «Le grand problème que rencontrent toutes les personnes souffrant de fatigue chronique, remarque la spécialiste, c’est qu’elles ne se sentent pas prises au sérieux par leurs proches… et même par le monde médical. Puisque la cause biologique n’a pas été déterminée clairement, on a vite tendance à penser que c’est dans la tête, qu’il s’agit de mauvaise volonté et qu’il suffirait de faire des efforts.»
Pourtant, l’épuisement physique que ressentent ces personnes est bien réel. Non seulement, elles ont de la difficulté à mobiliser leur énergie pour accomplir une activité physique ou intellectuelle, mais cet effort peut provoquer chez elles divers symptômes comme des maux de tête et des douleurs qui ressemblent à celles d’un état grippal. C’est ce que les spécialistes appellent «le malaise post-effort », caractéristique de cette pathologie. Autre symptôme: le fait que cette fatigue n’est pas soulagée par le sommeil. D’importantes perturbations du sommeil sont également signalées par la plupart des patients.
Burn-out permanent
Ces personnes ont-elles des profils similaires? «Pas systématiquement, répond Ariane Gonthier. Une catégorie est peut-être davantage représentée, celle des personnes qui ont eu un parcours de vie difficile, qui ont dû se battre. C’est comme si elles avaient dû déployer énormément d’énergie pour surmonter les obstacles, jusqu’au moment où elles se sont effondrées et ont fait un burn-out. Elles sont épuisées, mais ne souffrent pas de dépression. Elles ont envie de s’adonner aux activités qui leur plaisent, seulement elles n’en ont plus la force physique ou mentale. La différence, avec un vrai burn-out, c’est que, lors d’un burn-out, on se remet de la fatigue après une période de repos. Les patients SFC, eux, ne se rétablissent pas.»
La manière dont est vécue la maladie peut améliorer ou, au contraire, aggraver les symptômes. C’est pourquoi, même en l’absence de traitement, il est important que le patient se sente accompagné et soutenu par son médecin. «Le fait de pouvoir mettre un nom sur leurs symptômes fait beaucoup de bien aux personnes souffrant de fatigue chronique, même si la cause n’est pas comprise et qu’on n’a pas de solution magique à leur proposer, observe la Dre Gonthier. Cela leur permet de trouver des pistes pour vivre avec la maladie, d’aménager leur environnement et, aussi, de fournir des explications à leur famille, au lieu de passer pour des personnes paresseuses. Elles peuvent expliquer à leurs amis que, si elles renoncent à une sortie, ce n’est pas par mauvaise volonté, mais parce qu’elles en sont tout simplement incapables.»
Les critères de l’assurance invalidité
Ariane Gonthier explique que si certaines personnes ont du mal à monter des escaliers, d’autres ont abandonné toute vie sociale, d’autres encore ont du mal à se lever pour se faire une tasse de café. Certaines sont presque grabataires, alors que d’autres travaillent à temps partiel. «Pour les patients, la confrontation avec les experts de l’assurance invalidité est souvent pénible à vivre. Ils ont peur de ne pas être pris au sérieux, peur d’une décision négative, peur de ne pas avoir de perspectives.» A noter que, depuis 2015, l’AI a pour consigne de ne plus évaluer l’invalidité en fonction d’un diagnostic. Elle est censée tenir compte des répercussions fonctionnelles de la maladie et des limitations qu’elle impose.
Marlyse Tschui
«Je suis en mode survie depuis des années!»
Philippe Jaccard, victime de fatique chronique. © DR
L’existence de Philippe Jaccard a basculé, il y a dix ans. Habitant à Cugy (FR), cet ingénieur informaticien de 61 ans souffre d’une fatigue chronique qui l’oblige à peser le pour et le contre du moindre effort. Autrefois sportif passionné, il s’est découvert, depuis sa maladie, une passion pour la photographie. Témoignage.
«A la base, je suis sportif. J’ai pratiqué l’escalade, l’alpinisme, le triathlon, la course à pied, la compétition en VTT. Je suis aussi instructeur de ski. A l’âge de 34 ans, on m’a diagnostiqué la maladie de Lyme à la suite d’une piqûre de tique qui a occasionné une grande fatigue et une hémiplégie faciale passagère. J’ai été soigné aux antibiotiques. A 51 ans, j’ai de nouveau été piqué par une tique. Les mêmes symptômes sont réapparus et ma santé n’a cessé de se dégrader par paliers sur plusieurs années. Cela a commencé par une grande difficulté à récupérer après un effort pour, finalement, ne plus arriver à marcher sans tituber. Les différents tests médicaux n’ont conduit à aucun diagnostic. Un syndrome de fatigue chronique (SFC) a finalement été confirmé par la consultation spécialisée à Unisanté. Il consiste en une intolérance aux efforts, y compris ceux du quotidien, doublé d’une capacité de récupération très limitée.
Au début, je voulais pouvoir guérir et continuer à faire du sport. J’essayais de rester actif, mais je me faisais probablement plus de mal que de bien en outrepassant systématiquement mes très faibles moyens. Il y a eu un moment charnière, quand les médecins m’ont dit que je devais cesser toutes mes activités et essayer de déterminer à quel niveau d’énergie je pouvais fonctionner. Mes capacités étaient alors de cinq minutes de marche quotidienne, pas plus, sinon j’avais des maux de tête et des nausées et j’étais obligé de me coucher. J’ai pris conscience que je ne pouvais plus vivre comme avant et que je devais adapter mon fonctionnement à la maladie. Après un arrêt de travail de quelques mois, j’ai progressivement repris mon job d’informaticien à 100 % en adaptant la totalité de ma vie au quotidien.
Hypnose et autohypnose
La fatigue chronique est un disfonctionnement pour lequel il n’existe pas de traitement. Certains compléments censés améliorer la production d’énergie des cellules peuvent aider à la récupération. Des séances d’hypnose couplées à la pratique personnelle de l’autohypnose me conviennent bien. L’introspection et la relaxation me permettent de générer du mieux-être et de repartir avec les batteries un peu rechargées.
Avec le temps, j’ai mis en place des stratégies pour pouvoir continuer à travailler et optimiser mon attention sur un temps très court. J’ai appris à segmenter mes activités, car je dois me reposer pendant la journée. J’ai un bus de camping que je gare devant l’entreprise où je travaille et dans lequel il m’arrive d’aller dormir un moment quand je sens que mon cerveau commence à disjoncter. Ma fatigue n’est pas seulement physique, elle est aussi cognitive. Le niveau d’énergie que j’arrive à mobiliser est presque entièrement consacré à mon activité professionnelle. Si j’avais un autre métier, je ne m’en serais sans doute jamais sorti. Je suis toujours en mode survie et le moral s’en ressent parfois. Il m’arrive de regretter d’avoir dû renoncer aux sports que j’aimais, comme le ski et l’escalade. Mais je compense par d’autres choses, comme la photographie des animaux sauvages. Rester à l’affût dans la nature pendant deux heures sans bouger, cela me convient ! »
MT