Routine: mettez du sel dans votre vie!

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Comment sortir de la routine ? En obligeant notre cerveau à nous laisser quitter les zones de confort. Enquête sur l’art d’échapper aux habitudes.
Elles sont vicieuses, les habitudes. L’habitude de ne boire que du thé vert, de dormir à la droite du lit, de se doucher avec un savon liquide à la vanille, de saler avant de goûter, de coller trois bises sur les joues de ceux qu’on croise et qui ne sont pas forcément des amis... pour ne prendre que ces exemples. En même temps, elles nous simplifient la vie. Plus besoin de se mettre en mode vigilance pour exécuter toutes sortes d’actes quotidiens : remplir le caddie, faire à manger, nouer des relations avec les autres. Les gestes s’enchaînent automatiquement et nous permettent de penser à autre chose. D’être physiquement ici et, par l’esprit, ailleurs.
Selon certaines études, 90 % de nos actions seraient exécutées ainsi. Au radar. Avec un cerveau en pilotage automatique ... Et puis, les habitudes nous protègent. Même si le sol se dérobe sous nos pieds — conjoint qui tombe malade, problème d’argent, accident de voiture — le soir, en allant se coucher, on rejoindra quoi qu’il arrive le côté droit du lit, parce que c’est «notre côté», et là, ce repère, permet de garder l’équilibre. Voire même le moral. Quel soulagement de savoir que, au bout d’une journée remplie de désagréments, on retrouvera son rituel du soir: un plateau-repas consommé devant une série télé, par exemple.
Le revers de la médaille
Mais les habitudes ont leur mauvais côté. Avec le temps, elles nous endorment et nous figent. Sans qu’on y prenne garde.
C’est ainsi qu’on se retrouve à suivre sempiternellement les mêmes chemins. Oubliant qu’il en existe d’autres. C’est Jean-Pierre, 62 ans, qui s’est senti perdu dans son propre canton, le jour où le parcours qu’il avait l’habitude d’utiliser pour se rendre à son travail a été fermé à la circulation. « J’ai dû emprunter un itinéraire bis, et, tout à coup, je n’ai plus rien reconnu. Comme je passais toujours par les mêmes carrefours, je n’avais pas remarqué que, quatre rues plus loin, un complexe d’immeubles avait été construit ainsi qu’une zone piétonne avec des magasins aménagée.»
Ainsi qu’on finit par manger toujours les mêmes aliments. C’est Anne-Rose, 75 ans, qui, pour garder la ligne, a adopté, une fois pour toutes, un régime alimentaire avec le minimum de sucres rapides et de graisses animales et, du coup, s’est fermée à certains mets et à certaines cuisines. «J’ai mangé mon premier kebab, il y a six mois», raconte-t-elle encore toute retournée par le plaisir gustatif qu’elle a éprouvé. «Sans mon petit-neveu qui n’avait pas envie de pique-niquer avec mes sandwichs maison “ poulet crudités ” et m’a traînée devant la devanture de ce que je considérais comme “ un boui-boui ”, je serais morte sans avoir jamais goûté à cette spécialité turque. Dommage ! L’alliage viande de mouton, le croquant des légumes acidulés et l’onctuosité de la sauce blanche m’a explosé dans la bouche. Une grande découverte.»
Briser le carcan des habitudes
Notre capacité à rétrécir notre périmètre et à nous fabriquer notre propre prison est immense. Mais on n’en a rarement conscience. Notre cerveau ne produit pas de signal d’alerte pour nous mettre en garde. «Attention, répétition, risque d’enfermement.» L’automatisation ne le choque pas. Au contraire. Il en a besoin. « L’imagerie cérébrale fonctionnelle a permis de montrer que l’apprentissage passait par la répétition et la mémorisation de compétences », explique Olivier Houdé, professeur de psychologie du développement à l’Université Paris Descartes. Le cerveau est configuré pour adopter le mode répétitif et les automatismes. Son fonctionnement est donc spontanément analogique. Les expériences enregistrées, notre passé, nos empreintes, mémorisés le plus souvent implicitement, nous servent à planifier avec prudence notre avenir : telle situation nouvelle qui se présente est comparée à celles du passé et le comportement le plus adapté à notre survie est décidé par analogie. D’où, si l’on n’y prend garde, la possibilité de vivre à l’infini Un jour sans fin comme Bill Murray dans le film de Harold Ramis.
Mais l’imagerie cérébrale a aussi révélé que, pour s’extraire des connexions neuronales habituelles, qui sont influencées par nos savoirs du moment et qui génèrent des fixations, il fallait mobiliser volontairement d’autres manières de penser ou d’agir. Autrement dit, pour ne pas se recroqueviller avec les années, pour rester disponible aux possibles de la vie, il faut faire preuve de volonté. S’obliger à sortir des zones de confort.
Comment s’y prendre ? Comment empêcher notre cerveau de nous mettre en fonctionnement automatique ? Il existe plusieurs méthodes.
Des comportements antiroutine
Pour nous débarrasser des automatismes, le docteur en psychologie et spécialiste du comportement humain, l’Américain David Lieberman recommande de déplacer les objets qui nous entourent: réveil, photos disposées sur une commode ou aliments rangés dans le réfrigérateur et dans les placards. Cela réveillerait le regard. Il préconise aussi de créer de l’inconfort en modifiant légèrement l’une de ses habitudes: porter son sac à main sur l’autre épaule ou son portefeuille dans une autre poche; remuer son café dans l’autre sens; manger un mets dont on n’a pas l’habitude. «En faisant des choses qui ne correspondent pas à notre comportement habituel, on prend conscience des schémas inconscients de notre quotidien. Cela nous prépare au changement dans d’autres domaines de notre vie», explique-t-il dans son dernier ouvrage Sortez de vos automatismes (Leduc.s Editions).
Cette théorie des petits pas pour sortir de l’engourdissement fonctionne. Cécile, 56 ans, en fait l’expérience. «Je suis partie en balade, un jour où il pleuvait comme vache qui pisse. Ma raison me dictait de rester au chaud, de ne pas détremper mes bottes, de profiter du mauvais temps pour ranger ma maison. Elle m’a fait voir des images de sentiers boueux sur lesquels je m’enliserais, de paysages drapés de brume, de vêtements humides et froids. J’ai résisté : je suis sortie. La balade a été des plus agréables. J’ai retrouvé des sensations d’enfance, quand on sortait par tous les temps et qu’on sautait dans les gouilles. De retour chez moi, j’ai éprouvé une sensation de bien-être, de liberté retrouvée. Le sentiment d’avoir eu le dessus sur mon quotidien. » Depuis, Cécile a retrouvé une confiance en elle et elle accueille avec plaisir tous les imprévus qui se présentent. Elle les recherche même. « Sans rien avoir changé à ma vie, je n’ai pas déménagé, je n’ai pas changé de métier, ni de mari, j’ai l’impression d’avoir une vie différente, moins routinière, plus marrante.»
Pour relancer sa curiosité, Benoît, 78 ans, a décidé d’adresser chaque jour la parole à une personne nouvelle. «J’en avais marre de ne plus voir que mes quelques vieux potes. Penser qu’à partir d’un certain âge il y aurait moins de possibles est une pensée normative. Le cerveau de Benoît lui envoie des tas de messages de prudence: les gens vont le prendre pour un marginal, il risque de tomber sur des personnes sans scrupules ... Il se lance. S’il ne s’est pas fait des amis, il a multiplié les possibilités d’échange qui font tant de bien au moral. «Rien qu’en allant chercher mon pain, je salue maintenant trois personnes. Et la boulangère me raconte sa vie.»
Des chocs culturels
Rien de tel pour secouer ses automatismes que de s’exposer à des émotions fortes. Or, les œuvres d’art nous en offrent souvent. Selon le neurologue Pierre Lemarquis, « elles nous entraînent vers des territoires inexplorés qui nous aident à mieux nous connaître et à mieux comprendre le monde». L’art nous déconnecte de notre rapport rationnel au réel pour nous faire adopter un autre angle de rapport à notre environnement. Ce n’est pas la galeriste et commissaire d’exposition Barbara Polla qui le contredira. Dans son dernier essai Femmes hors normes (Editions Odile Jacob), la Genevoise qui n’arrête pas de muer (elle a été médecin, puis élue politique) exhorte les lecteurs à repousser les murs du connu. Penser que, à partir d’un certain âge, il y aurait moins de possibles, fait partie des pensées normatives qui nous limitent» affirme-t-elle.
Exercices de visualisation créatrice
Autre piste pour s’affranchir du ronron de la routine, la visualisation créatrice, un outil de transformation qui permet d’activer des ressources inconscientes. Comment s’opère le changement de logiciel mental promis ? Cela se passe entièrement à l’intérieur du cerveau par le biais d’exercices de visualisation. Le principe ? Quand on veut atteindre un objectif, on se glisse dans un état de relaxation et on imagine que le but est atteint. On visualise le résultat final sans se soucier du moyen par lequel on l’atteindra. Il faut que la vision soit intégrée par le cerveau comme si elle était réelle. A force de répétition, le cerveau considérera l’image comme une expérience vécue, et donc réelle, et permettra qu’on prenne des chemins de traverse. Ils sont nombreux. Ce serait dommage de passer à côté.
Véronique Châtel
Exercice pour briser la sédentarité
Le soir, au coucher, imaginez que, au réveil, vous vous livrerez à quelques exercices physiques. Footing, natation, cyclisme. Refaites le même exercice de visualisation chaque soir avant de vous endormir, jusqu’à ce que, un matin au réveil par réflexe logique, en sortant du lit, vous passiez à l’acte. Le fait de convaincre votre esprit que, chaque matin, vous vous adonnez depuis toujours à un exercice, stimulera votre inconscient et poussera votre corps dans une dynamique conséquente.